" Un autiste profond passe sa vie en prison. Un Asperger la passe au zoo..." - S.F -

samedi 11 mars 2017

Etre Asperger : ça fait quoi de le savoir ?

Bon. Je suis Asperger. 

Je répète. Je me le répète, encore et encore : je suis Asperger. Je suis Asperger. 
Ah. Asperger ? Oui, Asperger. Bon. Ok.
Asperger, vraiment ? Oui, Asperger, vraiment. 
Ah. Ah ah ? Hum... Asperger. Autiste Asperger. Ah. Autiste ? C'est pas pousser le bouchon un peu loin, ça ? Autiste ? Non, parait que non. C'est comme ça qu'on dit. Autiste Asperger.
Mais là, hop, question : ça se prononce comment, Asperger ? Parce qu'il semblerait qu'il y ait deux écoles, quand même. 
Certains psys, la plupart d'ailleurs, (auraient-ils raison ?) prononcent Aspergé, comme une asperge aspergée, et moi ça ne me plait pas trop. Vous imaginez placer ça dans une conversation ? "Désolée, je suis aspergée." 
Bon sang, la pauvre ! Aspergée par quoi, par qui, pourquoi ? Est-elle trempée ? A-t-elle froid, du coup ? Vite, une serviette pour la sécher ! Mais pourquoi dire "je suis aspergée" alors que la formule correcte serait "j'ai été aspergée" ? Serait-elle un peu simple d'esprit ? L'aurait-elle un peu cherché, comme l'arroseur arrosé ? 
Bref, être aspergée ne me convient pas, mais alors pas du tout. Je voudrais bien dire tout ça aux psys qui disent Aspergé (vous aimeriez l'être vous ? Non mais oh !) 
Je me contente de les fixer d'un regard un peu bovin, partant du principe que s'ils sont psys c'est qu'ils savent, et qu'il est inutile de polémiquer avec quelqu'un persuadé de Savoir (avec une majuscule, dans ce cas-là. C'est grâce à ce Savoir chèrement acquis au prix de longues années d'études qu'ils sont de ce côté-là de leur bureau, et moi de l'autre)
Moi, quand je me dis "je suis Asperger", je prononce Aspergueur, à l'allemande, quoi. Vu que ce brave Hans était autrichien, ça semble logique. Et en allemand, le G se prononce GUE, je suis formelle là-dessus. Ce qui m'arrange bien, vous l'aurez compris.
Fin de la digression, revenons-en aux faits. 

Donc, je suis Asperger. Ca fait huit mois que je le sais, maintenant. Huit mois pendant lesquels je n'ai pas écrit une ligne, ni ici ni ailleurs, ni sur le sujet ni sur aucun autre. Huit mois que je digère l'info dans un silence intérieur absolu, monacal, abyssal, total. 
Je m'attendais à une onde de choc, une déferlante à un moment ou un autre, un séisme et ses répliques. Je tendais l'oreille et le dos, sûre que ce calme sidéral n'était que les prémices d'une tempête dévastatrice. 
J'attends toujours. Et rien ne vient. Le calme en moi semble bien s'être installé de façon durable, et c'est tant mieux. C'est... confortable. Reposant. Apaisant. 
Si c'est ça, les conséquences d'être diagnostiquée, je prends. Je prends et je ne lâche pas. Ca fait tellement du bien. Je ne suis plus dépassée par mes émotions. Je me réconcilie avec moi-même. Je m'écoute. Je ne m'en veux pas. Je ne me juge plus. 
J'ai définitivement abandonné mon "faux-self", ce personnage de fiction bien sous tous rapports, dynamique, professionnel, ouvert aux autres, gestionnaire infaillible du quotidien et de ses emmerds, tendant l'autre joue à chaque mandale reçue, toujours debout, toujours "dans le move", toujours dans la lutte. Et toujours dans l'échec...
Pour arrêter l'alcool, j'ai appris beaucoup de choses, dont celle-ci : tant que je considérais l'alcool comme un adversaire et mon abstinence comme une lutte, je perdais. Il a fallu que je comprenne qu'il n'y avait tout simplement plus de combat. 
Là, c'est pareil, exactement pareil. Si combat il y a, je n'ai pas les armes. La preuve ? Je me suis fait mettre K.O systématiquement. J'ai perdu tous les rounds jusqu'à aujourd'hui. Tous sans exception. 

Alors je suis descendue du ring. 
J'accepte. Je m'accepte. Je pense me comprendre chaque jour un peu mieux. 

J'ai décidé de suivre une thérapie comportementale et cognitive (TCC), et ça me fait du bien. Ca me permet de mieux comprendre mes lacunes, mes déficiences liées au syndrome, et de mettre en place certaines choses pour y remédier. 
Ainsi, il est apparu que j'étais incapable de savoir ce que je ressens, hormis la colère et parfois, la tristesse. Incapable de nommer ne serait-ce que dix émotions différentes, moi qui me targue d'être plutôt bonne en français ! Incapable de saisir les nombreuses nuances de nos ressentis. La psychologue m'a imprimé une liste de plus de quatre cents expressions, et j'en étais estomaquée !
Je ne pensais vraiment pas être si ignorante dans ce domaine, et pourtant c'est typique du SA. J'apprends donc à m'observer de l'intérieur, être à l'écoute de ce que je ressens, et j'essaie d'y mettre des mots. 
Bon, la plupart du temps, j'ai quand même l'impression de ne strictement rien ressentir, mais quand une émotion me traverse, j'essaie d'y prêter attention et de la définir. Je me rends compte alors qu'en fait, je ne suis pas en colère, mais triste. Ou frustrée. Ou heurtée. Apeurée aussi, parfois. Bref, c'est nouveau pour moi, tout ça. Mais cet apprentissage est indispensable. La colère, dixit ma psy, est ce qui survient en dernier, parce que les émotions précédentes n'ont pas été identifiées, ni écoutées. Ecouter sa tristesse ou sa frustration dès qu'elle apparaît évite de se retrouver en colère plus tard. 
Et ça marche. 

Grâce à cette thérapie, j'arrive aussi à cerner de mieux en mieux ce qui me convient, et je commence même à pouvoir l'exprimer. 
J'ai besoin de calme, de silence, j'ai besoin que mon chez-moi soit en ordre, j'ai besoin de pouvoir passer des heures sur un jeu vidéo ou à regarder des séries, j'ai besoin de vêtements doux au toucher et chauds, j'ai besoin de manger sucré, j'ai besoin de me couper les ongles dès qu'ils dépassent le bout de mes doigts, ... j'ai besoin de tout cela et d'une multitudes d'autres petites choses pour me sentir détendue, ces petites choses qui pour la plupart des gens ne sont que des détails mais qui, pour moi, me bouffent la vie si elles ne sont pas en place. 
Et ça aussi, c'est semble-t-il typiquement Asperger ! 

Alors j'aménage ma vie en fonction. C'est beaucoup de changements en perspective, et Dieu sait à quel point ça m'angoisse, mais il faut que j'en passe par là si je veux vivre enfin de façon confortable. 
Je suis en procédure de licenciement pour inaptitude médicale à mon poste, je devrais perdre mon boulot d'ici une quinzaine de jours. Pas le choix, comment reprendre un poste de commerciale après plusieurs mois à expérimenter le bien-être de ne plus être confrontée à des interactions sociales que je ne maîtrise pas ? 
Il faudrait être masochiste pour revivre cette angoisse permanente, cette pression de tous les instants à devoir décrypter, analyser le langage corporel des gens, les intonations, le contenu de leurs paroles pour au final me planter quasi-systématiquement dans mes interprétations !
Je ne suis pas maso. Donc, basta. J'ai décidé de reprendre des études en informatique, du coup. Rien de bien original quand on est Asperger, mais bon, c'est un domaine qui emploie à tour de bras, et puis les ordinateurs et moi, on se comprend. Je comprend leur logique, je l'apprécie. J'aime la façon dont ils fonctionnent. J'ai 45 ans et je vais être informaticienne. On va dire qu'il n'est jamais trop tard !

Pour conclure ce long article, je dirais que ce diagnostic m'a révélé à moi-même. J'ai enfin trouvé la paix et la compréhension profonde de qui je suis vraiment, dans mon intégralité. 
Tout est cohérent. Tout est respecté. La situation n'est pas rose pour autant, mais la connaitre me permet de ne pas m'entêter à changer des choses en moi ou autour de moi qui ne peuvent pas l'être. J'accepte mes déficiences au fur et à mesure que je les découvre, leur découverte éclaire mes échecs précédents et me donne un but : celui de ne plus jamais les reproduire et de ne plus jamais me faire souffrir. 

Je ne considère toujours pas le SA comme un handicap, mais comme une particularité neurologique qu'il faut que je prenne en compte, comme le fait d'être gauchère, par exemple. Je ne vais pas m'entêter à écrire de la main droite ! 

Alors oui, je suis Asperger. Je ne suis pas que cela, mais je suis aussi cela. Et c'est important. Ô combien. 
Je n'en retire ni joie ni fierté, ni honte ni tristesse. C'est juste un fait dont je m'accommode de mieux en mieux. 

A tous ceux qui ont des doutes ( to be or not to be... Asperger ?) faites-vous diagnostiquer. Faites cette démarche. Ne restez pas sur un auto-diagnostic ou sur une suspicion. Allez-y, go ! Il y a eu tant de positif pour moi à le faire, il ne peut qu'en être ainsi pour vous. 

Après l'obscurité la lumière !













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